All by my selfie

Bernard Dufour

1922 - 2016

Bernard Dufour

L'artiste 

Dans les années 60, Bernard Dufour quitte l’abstraction, faite d’archétypes de corps de femmes, pour la figuration. Puis « pour débrouiller encore plus intensément et plus diffcilement, et plus névrotiquement encore cet embrouillaminis de la figure, ce nœu » dit-il, il installe dans son atelier tout un ensemble de miroirs et une peinture de femme nue – peinture chargée du rôle de modèle – et il commence les « autoportraits acharnés ». Dans l’abstraction, dit-il, « tous les sens, toutes les associations d’idées étaient possibles. Il n’y avait aucune contrainte exercée sur le regard du spectateur ni sur le fonctionnement de sa pensée. Voilà ce qui m’a poussé à abandonner cette figuration : je voulais contraindre les gens à regarder ce qui moi me préoccupait. » Le miroir concentre la réalité dans un espace clos et crée une surexcitation de la lumière qui le fascine. Les fonds ouverts – dans lesquels s'enchâssent des figures et des corps qui se perdent dans cet espace indéfini – sont d'un ton neutre et la couleur naissante par endroits, loin d'aider à l'incarnation de ce que le dessin représente, le défait. Les figures féminines sont toujours à une échelle telle que le tableau ne peut les montrer entières, qu'une partie de leur corps échappe à la saisie visuelle. On reconnaît également des motifs floraux qui se superposent au corps, évoquant ses rondeurs, tandis que le portrait de l’artiste, plus sombre au centre en haut de la toile, nous fixe du regard, comme pour nous contraindre à observer ce tableau.

Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2006

Regard sur une œuvre :
Autoportrait, Hiver 66-67
1966-1967

Comme révélateur d’un inconscient, l’art de Bernard Dufour se fait autobiographique. D’une approche personnelle quasi freudienne, il crée un univers sexué fait de corps de femmes, d’étreintes, de sexes offerts au regard d’un voyeur, lui. Dans Autoportrait hiver, comme dans la majorité de son œuvre depuis les années 60, l’histoire qu’il raconte c’est celle d’un regard, sur la femme dans ce qu’elle a de charnel, sur la mort par ce qu’elle a de sexuel, sur la conscience dans ce qu’elle a d’intemporel. En somme, l’histoire de sa propre vision intérieure par la façon qu’il a de contraindre le modèle à son regard. Ici, un grand nombre des éléments constitutifs de sa peinture se trouvent rassemblés : le corps de femme au premier plan, un autoportrait de face permettant de mettre l’accent sur son regard, un cadrage (rappelant celui de la photographie souvent point de départ de son travail) qui dans sa délimitation arbitraire soustrait une partie de ce nu flottant dans un espace sans consistance, blanc. Il pose sans cesse la question de la figure et de la ressemblance non pas pour reproduire précisément le réel dans son intégralité, ce qu’il sait impossible, mais pour en offrir un reflet délibérément subjectif.

non signé, n.d.