All by my selfie
Icône des années 1980, Nan Goldin a révolutionné la photographie, en faisant de sa vie son œuvre. Durant près de quarante ans, elle n’a eu de cesse de photographier ses proches dans leur intimité. Fous rires, soirées, sexe, drogue, étreintes, enfants, maladie, enterrement. L’artiste a cherché retenir chaque moment partagé avec ses amis, luttant de toute ses forces contre le temps et l’oubli. Elle a également réalisé de nombreux autoportraits, dont le très célèbre Nan One Month After Being Battered (« Nan un mois après avoir été battue », 1984). À la fin des années 1980, le fléau du sida déferle, emportant ses meilleurs amis, qu’elle aura ainsi photographiées jusqu’à la mort. Son œuvre, qu’elle présente comme un « journal intime », devient le récit de toute une génération. Contrairement à Diane Arbus, à qui elle est souvent comparée, elle a aboli la distance conventionnelle qui la séparait de ses sujets : « Je veux montrer exactement à quoi mon monde ressemble, sans glamour, sans glorification » (The Ballade of Sexual Dependency, 2006).
Pauline Guélaud
Commencée au milieu des années 70 par des prises de vue « amateurs » de ses proches, l’œuvre de Nan Goldin n’a cessé depuis de « saisir » tout ce qui occupe son environnement le plus intime. En fait, au-delà d’un inventaire de sa propre vie, ce sont surtout les relations qu’elle suscite et provoque avec autrui, qu’elle photographie. Amis, amants, maîtresses, ou partenaires d’une nuit, d’une fête ou d’un voyage, tous les visages qui hantent l’œuvre de Nan Goldin ont une histoire. Ils sont les héros de « son » histoire. Evidemment liée aux dérives du sexe, de la drogue, et de la maladie, son œuvre est souvent associée à une époque où l’amour et la mort se confondaient en petits mythes éphémères. Ainsi, Self-Portrait (All by myself), 1995 expose en 83 diapositives le tracé autobiographique de l’artiste, de l’enfance à l’âge adulte par tous les stades du bonheur, mais surtout de la souffrance : les amours perdues, les coups dans le visage, les ruptures, les cures de désintoxication, jusqu’à ce départ mystérieux pour Tokyo. Mais au-delà de ces introspections souvent douloureuses, l’œuvre de Nan Goldin s’inscrit dans une grande tradition de la photographie américaine qui, de Walker Evans à Diane Arbus a mis constamment à nu la conscience collective de ce pays. Véritable peintre de son temps, sa photographie rappelle par ses compositions, ses couleurs, ses personnages, le travail de Caravage, lui aussi "photographe", violent et cruel, de tous les décalés d’une société baroque en plein tumulte.
Eric Mangion, 1999
Extrait de Collection 1989-1999 : FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Actes Sud, Arles / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille, 2000