All by my selfie
Les photographies de Sam Samore représentent des visages féminins, entiers ou partiels. Regards dans le vide ou peu expressifs, on y retient un sentiment de plénitude étrange. La froideur résulte du noir et blanc et de l'anonymat des personnages. Du fait du format imposant des photographies et des cadrages serrés, l'artiste rend le spectateur acteur des scènes qu'il photographie et dépeint et fabrique des personnages et des histoires à la fois réels et imaginaires. « Je choisis des visages pour leur singularité, parce que c'est ce qui permet de les rendre universels, de les situer dans un temps autre qui suspend le besoin de penser que ces visages sont inscrits dans un temps particulier. Mon ambition est de les considérer dans une forme d'équivalence avec la statuaire antique, par exemple, pour dégager la part constitutive du mythe : le lien entretenu entre la beauté et vérité. » La lecture demeure personnelle, ouverte, ambiguë, et souligne la projection de l'imaginaire et du symbolique.
L'artiste réalise des collages à partir de clichés pris à des défilés de mode et d'autres qu'il réalise avec des modèles. Les deux niveaux de mise en scène se mélangent pour créer des moments extrêmement intrigants de « beauté » ou « allégories de beauté ». Il pousse plus loin son obsession de cette beauté idéale jusqu'à l' « assimiler » à l'idéal grec du corps parfait. Pourtant c'est à l'instant même où la perfection semble accessible que le doute s'installe, que les soupçons et les questions surgissent : qu'est-ce que la beauté véritable ? Ce que Sam Samore met en scène, est en fin de compte une impasse pour le public qui doit faire face à la "réalité inconsciente", une suspension psychologique et une insoluble anxiété du néant existentiel… parées des couleurs du paradis. Une peur infinie dissimulée derrière le voile de la beauté à l'état pur. Ce qu'il y a de remarquable dans sa « création de situations », c'est qu'il a en quelque sorte inventé un espace intermédiaire dans lequel on peut séjourner temporairement et profiter d'un monde qui ne distingue pas entre vie publique et privée, naïveté enfantine et "intelligence adulte". L'ordre établi des valeurs sociales est bousculé, interrompu et anéanti.
Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2005