All by my selfie
Né en 1959, l’artiste franco-algérien Djamel Tatah enseigne à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il vit et travaille en Provence. Régulièrement présentés en France et à l’étranger, ses tableaux ont rejoint d'importantes collections privées et publiques dont le British Museum et le Musée National d’Art Moderne Centre-Pompidou.
Dans une peinture sobre et épurée, Djamel Tatah livre une représentation de l’homme contemporain qui affirme sa présence au monde. A partir de la réalité, des situations les plus ordinaires aux événements qui marquent l’actualité, il peint des figures humaines, à l’échelle du corps, suspendues dans le temps, plongées dans le silence et qui semblent n’appartenir à aucun lieu défini. Réévaluant la solitude comme vertu, l’artiste tente de dépasser la réalité pour expérimenter, au moyen de la couleur, de la lumière et du trait, son sentiment d’être au monde.
Galerie Poggi
Depuis 1986, Tatah peint des images à partir de prises de vue photographiques dont il détermine la pose et pour lesquelles il choisit des personnes qui lui sont proches ou familières comme modèles. Djamel Tatah par ses origines algériennes, vient d'une tradition qui interdit la représentation de la figure humaine. Dans sa peinture il n'y a donc pas d'ironie, pas de double langage, juste une silencieuse présence. Les femmes de Tatah sont nombreuses, fières : personne, à commencer par elles, qui autrement croiseraient leurs visages, ne peut échapper à la dureté de leur pose et de leur regard. Chaque toile est dominée par un fond monochrome sur lequel se tiennent, au premier plan, ses personnages. Ici il s'agit d'une femme qui contrairement aux représentations bien connues, semble être intimidée. La tête légèrement baissée, elle nous questionne du regard. Interrogeant notre solitude comme la sienne, celle sociale de l'individu parmi les autres.
Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2020
On trouve très souvent dans vos œuvres des figures solitaires, qu’est-ce qu’il vous attire vers le sujet de la solitude ?
C’est une réalité : on nait seul, on meurt seul. La solitude, chacun la porte en soi.
Comment définiriez-vous l’influence de vos origines algériennes sur vos œuvres ?
Mes œuvres ne sont pas géolocalisables. Je peins avec ce que je suis, avec ce qui me constitue. Je suis né dans la vallée du Giers à Saint-Chamond de deux parents algériens, déracinés de leur pays. Je suis un mutant.
Vous utilisez une palette de couleurs très simple dans votre travail, quel en est l'effet ?
L’espace dans lequel j’installe mes figures se construit à partir de plusieurs passages de jus colorés qui créent, par juxtaposition et transparence, l’espace du tableau. La palette de couleurs que j’utilise est en fait très vaste avec d’infimes variations. Je veux que mes couleurs soient tendues pour créer l’ambiance du tableau.
La plupart de vos tableaux est réalisée sur la base de photographies de vos proches.
Y a-t-il une différence pour vous entre peindre un proche et peindre un étranger ?
Il n’y a aucune différence. Chacune de mes figures incarne une humanité, un être dans le monde, une présence. Ce qui m’intéresse dans un tableau représentant un homme, une femme, un enfant, même si parfois j’utilise l’image de mes proches, c’est quand l’expérience du tableau dépasse ce qui est représenté. Je cherche à figurer l’être humain de façon abstraite, sans psychologie, sans identité ou appartenance communautaire. Ce qui m’intéresse c’est la présence de l’être dans le monde.
Des représentations de la Madone aux nus, en passant par tout ce qui se trouve entre les deux, où vous situez-vous par rapport à la représentation artistique des femmes ?
Je ne peins pas de nu, ni de Madone, je ne peins ni star, ni femme politique ou scientifique. Je peins des figures féminines, comme je peins des figures masculines, pour parler de nous, de notre rapport au monde, de notre solitude face aux drames contemporains.
Votre travail est souvent défini silencieux, comment un tableau peut-il être silencieux ?
Je ne donne presque jamais de titre à mes tableaux. C’est une manière d’installer le silence et de ne pas enfermer le spectateur dans une signification ou une direction. Le silence est pour moi un moyen de rester en contact avec le réel, de montrer que tous, nous dansons dans la tragédie : il faut que la tragédie se ressente et non qu’elle s’énonce.