Asian Spring

Maleonn

1972 -

Maleonn

Dans le monde étrange de Maleonn, les super-héros hilares sont couverts de contusions et les facteurs traversent les murs pour délivrer leur courrier. Utilisant les ressources numériques et les techniques manuelles de re-colorisation, cet ancien réalisateur de films met en scène un univers fantaisiste et malicieux, où l’imaginaire délirant sert une trame narrative métaphorique. L’enfance est au coeur de ce royaume, car Maleonn, de son vrai nom Maliang – jeune personnage de conte qui avait le pouvoir de transformer la réalité au gré de ses fantaisies – cultive cet enfant intérieur, celui qui ne nous a jamais pardonné d’avoir grandi. 

Né en 1972 à Shanghai et doté de ce nom singulier, Maliang était destiné à devenir artiste ; né d’un père directeur de l’opéra de Shanghai et d’une mère actrice, il a baigné dans un univers théâtral « artificiel ». Aux vies fictionnelles et romanesques de la scène, s’est très vite opposée une réalité extérieure, particulièrement terne.

Pendant la Révolution Culturelle, ses parents furent envoyés à la campagne et il resta seul avec sa soeur durant plusieurs années. Livré à lui-même, le jeune Maleonn s’est inventé un univers salvateur, un monde de rêves et de fantaisies. « La photographie est mon pinceau magique ». Chaque photographie porte une intensité dramatique souvent teintée d’ironie. 

Le Facteur naquit de la figure réelle du facteur Cheval, ce postier de campagne français qui à la fin du XIXe siècle construisit seul un Palais Idéal avec les pierres qu’il ramassait au cours de ses tournées. Face à un quotidien triste et morose, le magicien Maleonn apporte une touche d’irréalité ; l’imagination est une évasion et le souvenir, la mélancolie d’une innocence perdue. De nombreux objets récurrents et symboliques occupent cet univers onirique : les scènes de théâtre, premiers souvenirs marquants de son enfance, les masques, les billes de couleur, les envolées de papiers et autres animaux indomptables… 

Quand Les Enfants Impardonnables font l’école buissonnière et sèment au vent leurs feuilles d’examens, les lettres du Facteur semblent se diriger poétiquement vers leurs mystérieux destinataires. Maliang accompagne chacune de ses séries de poèmes où les références littéraires chinoises et étrangères sont courantes : Voyage vers l’Ouest, Le songe d’une nuit d’été ou encore l’oeuvre du poète contemporain Bei Dao. Dramatiques ou comiques, les personnages de ses fables sont là pour nous divertir. Déguisés et maquillés, ils ont la gestuelle grandiloquente des opéras chinois. Dans Les garçons de Shanghai ou dans Ambre, de jeunes adultes en tenue militaire pastichent les grandes figures communistes. Leurs identités soigneusement cachées, ces personnages batifolent et gesticulent, tantôt s’entraînant les uns les autres, tantôt esseulés, déambulant comme des âmes en peine. Quant au Petit porteur de drapeau, cet homme-clown qui a tous les atours du censeur, il écoute et juge, caché derrière son masque souriant. Car les héros des photographies de Maleonn s’accrochent à leur idéalisme, malgré les décors désolés qui les entourent ou les situations grotesques qu’ils rencontrent. 

Aussi, lorsque Maleonn évoque la Chine contemporaine et son histoire, il engage aussi ce qu’il appelle l’histoire « sentimentale » de la Chine traditionnelle. Au milieu d’un paysage calme en noir et blanc rappelant la calligraphie classique, le personnage « plastifié » et percé de flèches d’Une histoire chinoise évoque un stratège de l’époque des Trois Royaumes. L’usage du noir et blanc sert des sujets plus graves, plus éloignés de l’enfance, où la mélancolie semble avoir pris le pas sur le ludique. De ses références photographiques, Maleonn nous parle volontiers du travail du photographe tchèque Jan Saudek, de l’aspect théâtral et de l’ambiance ambiguë qui se dégage de ses photographies de nu, entre facétie et noirceur. Passionné de cinéma, il cite le réalisateur iranien Abbas Kiarostami également formé par la publicité. On pense encore à Tim Burton ou à Jean-Pierre Jeunet pour leur univers foisonnant, l’imagination débordante associée à l’enfance et leur utilisation alternée du noir et blanc ou de la couleur selon les sujets. Au cours de sa carrière de réalisateur, Maleonn a appris à diriger des acteurs et à développer son sens inné de la mise en scène. Collectionneur d’objets hétéroclites, il conçoit également les costumes et décors nécessaires à ses scénographies. De ses études de graphique-design dans la plus prestigieuse université d’Arts Appliqués de Shanghai, il a acquis la parfaite maîtrise des outils numériques.

Peintre depuis l’âge de onze ans, certaines séries comme les Portraits de Mephisto sont recolorisées à la main en post-production. À chaque étape du processus, l’image est construite dans ses moindres détails et il parvient avec génie à faire fusionner dans le seul cadre d’une photographie de nombreux mediums artistiques afin de nous emmener toujours plus loin dans la découverte de son royaume. Car c’est un monde infini et d’une rare densité qui s’offre au spectateur ; un monde d’illusions à la fois conscientes et subconscientes. Dans ses photographies aux symboliques prolifiques, Maliang offre une expérience visuelle inédite et sans cesse renouvelée. Témoignant d’une grande maîtrise des langages visuels et scéniques, les photographies faussement naïves de Maleonn captivent et interrogent notre perception de la réalité, éclairant le labyrinthe de nos esprits et la complexité de nos existences.