Racines & Récits

Clémentine Giaconia

Clémentine Giaconia

Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie, Clémentine Giaconia poursuit ses études à l’Institut supérieur des arts appliqués de Paris, où elle obtient un diplôme avec mention en 2003 en design de produits et d’intérieur. En tant que coordinatrice de projet pour une agence de design parisienne, elle a travaillé dans un environnement de marques de luxe. C’est aussi là qu’elle a rencontré Frédéric Forest. Chaque jour apporte un nouveau canal d’expression, que ce soit du mobilier, de l’emballage, des bouteilles, de la photographie ou encore des catalogues. Verre, métal, papier, plastique, Clémentine a tourné la main vers tous les types de supports. Son approche interdisciplinaire lui a appris l’importance d’un seul détail, d’une surface, d’une texture. Elle continue à travailler sur ses propres projets d’aménagement et, après quatre ans, son ambition la pousse vers un parcours plus personnel lorsqu’en 2008, avec Frédéric Forest, elle crée le studio.

 
 

Crédit photos : Nomades / Natacha Roché & Mathieu Lodin

Rencontre

Vos études en histoire de l’art, en archéologie et en design de produits semblent avoir façonné votre approche unique. Comment ces disciplines influencent-elles votre travail aujourd’hui ?

Effectivement, mon parcours pluridisciplinaire a une influence importante sur mon travail de designer aujourd’hui. Mon parcours n’est pas si éloigné des schémas pédagogiques artistiques des siècles passés. La référence à l’Antique a toujours été le socle de l’apprentissage des Arts. « La réappropriation passe par l’imitation des anciens pour atteindre la grandeur » disait l’Allemand J.J Winckelmann, tantôt considéré comme le premier historien d'art, tantôt comme l’un des premiers archéologues au 18e siècle. L'histoire de l'art m'a permis de développer un regard aiguisé sur les formes, les proportions et les significations des objets à travers les Temps. Elle m’aide à saisir la profondeur culturelle et symbolique des objets, et à comprendre comment un design peut dialoguer avec son contexte historique ou même transcender le temps. L’archéologie, quant à elle, a nourri ma curiosité pour les matériaux, leur durabilité et les techniques ancestrales. C’est une discipline qui m’a appris à observer les objets non seulement pour ce qu’ils sont, mais aussi pour ce qu’ils révèlent de la société qui les a produits. Dans ma démarche, cela se traduit par une attention particulière à l’authenticité des matériaux et à leur capacité à raconter une histoire. Mes études en Design Produit et en Architecture m’ont apporté la dimension pragmatique, celle de l’utilité et de la fonctionnalité. C’est le point de rencontre entre l’esthétique, les valeurs historiques et les besoins contemporains. C’est une discipline qui se nourrit de l’être humain. Un designer pose des questions sur l’existence des choses. Ma motivation est de créer des objets qui non seulement répondent à une fonctionnalité, mais qui portent aussi un récit, une mémoire, une émotion et qui vont s’inscrire dans un espace. Aujourd’hui, je mesure l’impact de toutes ces disciplines dans mon quotidien et à quel point elles me nourrissent et m’enrichissent encore. Elles m'incitent à concevoir des objets qui vont au-delà de leur simple usage, qui ont une dimension intemporelle et qui dialoguent à la fois avec le passé, le présent et l'avenir. Votre travail mêle souvent esthétique et fonctionnalité.

Comment parvenez-vous à trouver cet équilibre dans vos œuvres ?

Trouver un équilibre entre esthétique et fonctionnalité est au cœur de ma démarche en tant que designer. Je considère que ces deux aspects ne sont pas opposés, mais qu’ils doivent au contraire se nourrir l’un de l’autre. L’esthétique n’est pas simplement une question de forme, mais aussi de sens et d’émotion ; elle doit susciter une connexion avec l’utilisateur, enrichir son expérience et apporter une certaine poésie dans le quotidien. De l’autre côté, la fonctionnalité est la base de toute conception. Un objet doit répondre à un besoin, être intuitif et simple d’utilisation. Cela passe par une réflexion précise sur l’ergonomie, les matériaux et la manière dont l’objet va s’intégrer dans le quotidien de son utilisateur. Mon approche consiste souvent à partir des contraintes et des besoins pratiques, puis à chercher comment ces éléments peuvent se traduire visuellement et émotionnellement. Par exemple, la recherche de matériaux durables peut s’accompagner d’un travail sur la texture, les couleurs ou la forme, pour que l’objet soit agréable à utiliser mais aussi à regarder. J’essaie aussi de me laisser guider par l’histoire de l’objet, de l'archétype, en questionnant son évolution, ce qui me permet d’ajouter des touches de modernité tout en respectant ses fonctions premières. L’équilibre se trouve dans un dialogue constant entre la beauté d’un objet et son utilité. L’un ne va pas sans l’autre : un bel objet sans fonctionnalité devient une sculpture, tandis qu’un objet purement utilitaire, sans sens ni soin esthétique, risque de perdre son pouvoir émotionnel. La formule de Victor Hugo « Le beau est aussi utile que l’utile… Plus peut-être » m’accompagne toujours dans ma réflexion. C'est ce subtil jeu entre forme et fonction que je cherche à maîtriser dans chacun de mes projets. Mais cette quête de simplicité est souvent le résultat d’un cheminement long et accidenté. C’est pour cela que je reste profondément dans l’âme une designer d’objets du quotidien et non une céramiste.

Les textures et les surfaces occupent une place centrale dans votre démarche artistique. Que signifient-elles pour vous, notamment dans cette collection ?

Les textures et les surfaces sont effectivement des éléments essentiels dans ma démarche créative et qui servent très souvent de point de départ à mes projets. Je rajouterai également l’importance de la couleur. Pour moi, elles vont bien au-delà de leur simple fonction esthétique ou tactile ; elles sont porteuses de sens et jouent un rôle fondamental dans la manière dont un objet se connecte à l'utilisateur. La texture d'un objet, sa surface, crée une expérience intimiste qui va bien au-delà de la vision. Je suis aussi particulièrement sensible à l’idée que la texture puisse révéler les propriétés d’un matériau, sa matière, sa densité ou sa plasticité. Une céramique avec l’empreinte de son façonnage à la main raconte l’histoire de son origine et de sa production. C’est une manière pour moi de rendre hommage à sa noblesse et à son potentiel d’expression. Dans cette collection, les textures ont été pensées comme un langage à part entière. Je travaille beaucoup avec la technique du versé en émaillage ce qui donne à chaque objet un décor unique. J’aime l'idée qu’une table composée d’assiettes et de plats à la fois tous différents dans la texture puisse raconter une même histoire, évoquer des sensations et susciter des émotions. Que ce soit une surface brillante qui reflète la lumière, une texture rugueuse qui invite au toucher, ou une finition mate poudrée qui invite au silence, chaque choix de texture porte une intention, un message subtil. Pour la Petite Maison de Gallifet qui fait partie du Centre d’art, j’ai voulu que les textures et les surfaces dialoguent entre elles : que l’objet soit à la fois beau à regarder, agréable à toucher, et qu'il suscite un rapport affectif avec son futur propriétaire. Je veille à trouver cette alchimie où la texture sert à la fois l'esthétique de l’objet et sa fonctionnalité, en renforçant la dimension émotionnelle tout en restant fidèle à sa fonction première. Aujourd’hui, vous présentez plusieurs créations en grès à la Petite Maison de Gallifet.

Quelle a été votre principale inspiration pour cette collection ?

Connaissant l’histoire du quartier Mazarin d’Aix-en-Provence et le lieu dans lequel s’inscrit la Petite Maison de Gallifet, ma première inspiration a été celle de ce retour à cette terre provençale profondément enracinée dans sa noblesse et dans ses traditions. C’est une terre de contrastes, à la fois austère et colorée, rude et festive, simple et généreuse qui invite toujours à recevoir. Il m’a paru alors évident de métamorphoser ces contrastes sensibles en objets-paysages pour une table d’une maison provençale. Pour cela, les grès colorés ont cette magie d’offrir une palette de variations infinies de textures et de nuances à partir de peu d’émaux. Dans cette collection d’objets d’art de la table, j’ai voulu capturer dans chaque pièce la beauté de la matière, qui, malgré sa rusticité, porte en elle une immense richesse. Le grès, avec sa rugosité et son caractère minéral, évoque pour moi l’idée de solidité et de pérennité, tout en offrant une grande sensualité au toucher. J’aime l'idée que, par sa texture, il nous ramène à l’essence même de la terre, une matière à la fois pierreuse et raffinée. Parallèlement, j’ai souhaité explorer le contraste entre la robustesse du grès et l’élégance des objets d'art de la table, qui, traditionnellement, sont souvent associés à une certaine légèreté, voire à une fragilité. C’est ce dialogue entre ces deux mondes — celui de la rusticité du grès et celui du raffinement des objets destinés à sublimer la table — qui a nourri ma réflexion. Mon objectif était de créer des pièces qui, tout en étant ancrées dans une matérialité forte, conservent une certaine finesse et une dimension esthétique qui les rendent parfaitement adaptées à l'univers de la table, tout en apportant une touche d'authenticité.

Quels sont vos projets à venir ? Travaillez-vous sur de nouvelles expositions ou collaborations ?

Je continue toujours à travailler sur les objets du quotidien destinés à l’art de la table mais avec une nouvelle exploration de formes disruptives. Les assiettes-paysages dont je vous parlais tout à l’heure semblent aujourd’hui enclencher une nouvelle dimension, celle de la table-tableau. À suivre …